Quelle définition de la performance économique des services publics en régie ? récit d'une tentative de « republicisation » du service public : le cas de la régie communautaire de l'eau de Nantes-Métropole
/ Le modèle de management du service public d'eau est certainement un objet d'analyse privilégié des phénomènes de « dépublicisation » à l'½uvre dans le champ de l'action publique en France. En effet, la privatisation de la gestion dans ce secteur, la montée en force du critère marchand qui a trouvé un écho particulier dans les controverses sans fin sur le prix et le coût de l'eau, la référence au client et la légitimation de l'action par la preuve de l'efficacité, constituent autant d'indices de l'effacement des frontières privé/public de la gestion de ces services publics.
Le mode de gestion dit « en régie » des services publics d'eau (collectivités locales qui ont fait le choix d'une gestion publique) n'est pas sans intérêt dans la mesure où il renvoie à un univers où les finalités de l'action ne résident pas dans le critère de rentabilité, à la différence des grands groupes industriels de l'eau présents sur le territoire. C'est le cas notamment de la régie communautaire de l'eau de Nantes-Métropoles qui depuis plus d'une centaine d'années déjà, a opté pour une gestion publique de l'eau, et qui sur le plan managérial a initié dès le milieu des années 1990 un mouvement continu de modernisation de sa gestion.
Si l'évaluation de son action constitue l'arrière-plan général de ce mouvement, l'un des chantiers ouvert depuis peu est celui de la performance économique de la régie avec pour support un outil de mesure des coûts.
En effet, alors que jusque-là, l'idée du coût n'avait jamais été que la conséquence d'une logique technico-territoriale, autorisant l'absence de la contrainte de l'efficience auto-entretenue par une situation de monopole, le nouveau contexte de mixité de gestion hérité de l'élargissement du territoire d'action (passage de 6 à 24 communes), de même l'émergence de la notion de « juste-prix » introduite par le nouveau projet de loi sur l'eau, confèrent de fait une nouvelle donne qui a pour effet de questionner la performance publique (celle de la régie) parallèlement à celle de la nouvelle catégorie d'acteurs privés présents sur le territoire élargi.
Le récit que nous faisons ici retrace la réflexion des acteurs de la régie sur cette nouvelle catégorie sémantique considérée de prime abord comme l'expression d'une intrusion des logiques « de marchandisation » issue du mode privé de gestion de l'eau, mais dont l'intérêt cependant est d'ouvrir un débat en interne sur ce qui fait la spécificité du service public d'un point de vue économique. Ce récit qui s'appuie sur une démarche de recherche-action engagée entre la Direction de l'eau de Nantes-Métropole et notre unité de recherche, présente les éléments de réponse qu'apportent les acteurs aux questions clés que pose cette quête de l'essence du service public : sur quels critères politiques et managériaux fonder la légitimé d'un raisonnement de type économique dans un fonctionnement en régie ? Comment dépasser l'ambivalence qui s'attache à ce critère et qui fait d'un côté on lui reconnaît des vertus certaines et de l'autre, on y voit une tentative de rapprocher le service public en régie du service délégué au privé ?
Plus fondamentalement, il apparaîtra qu'au-delà des bénéfices attendus en termes de pilotage de l'action et d'aide à la décision, ce regard renouvelé sur la question de l'efficience et de ses effets en régie renverra les acteurs à deux questions de la gestion des biens publics essentiels qui singularisent le service public et restent non résolue dans le secteur de l'eau : celle de l'appropriation de la rente de monopole et de son partage et celle de la valeur économique du service public.
Ce récit s'appuie sur les résultats d'une analyse de données textuelles conduite à partir du logiciel Alceste et menée sur des données issues d'une série d'entretiens auprès des différentes catégories d'acteurs du service.
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