Ecologie et dynamique alimentaires des juvéniles du maigre, Argyrosomus regius, dans l'estuaire de la Gironde
/ Malgré son intérêt commercial, l'écologie du maigre, Argyrosomus regius (Asso, 1801) a été peu étudiée particulièrement dans les milieux d'interface eau douce/eau de mer. Pourtant ces écosystèmes jouent un rôle essentiel dans le cycle biologique de cette espèce euryhaline d'origine marine. En effet, l'estuaire externe de la Gironde remplit par exemple le rôle de zone de reproduction, de mai à juin, et l'estuaire interne de zone de nourricerie, pratiquement toute l'année. En hiver, cette fraction de population estuarienne tend à regagner l'embouchure et le plateau continental. En écologie estuarienne, le rôle de la fonction trophique et en particulier dans quelle mesure elle conditionne le séjour des juvéniles dans ce milieu stressant, soumis à de fortes fluctuations des paramètres environnementaux (salinité, température), demeure une question fondamentale. Ainsi, notre recherche sur le régime alimentaire des juvéniles de maigre de l'estuaire de la Gironde et de sa variabilité selon l'espace, le temps ainsi que la taille des individus concernés, s'inscrit dans cette optique. Des échantillonnages bimestriels, menés de juillet 2003 à juin 2004, ont couvert 7 stations, positionnées longitudinalement dans l'estuaire de la Gironde. L'analyse des contenus stomacaux a révélé que le maigre, espèce plutôt pélagique, base essentiellement son alimentation sur la petite faune vagile (Mesopodopsis slabberi, Neomysis integer, Gammarus spp. et Synidotea laticauda), les crevettes (Crangon crangon, Palemon longirostris) et certains poissons (essentiellement Pomatoschistus spp.). Les indices utilisés (coefficient de vacuité, fréquence d'occurrence, pourcentage en nombre, pourcentage pondéral) ont mis en évidence une variabilité des régimes alimentaires de cette espèce en fonction du temps et de l'espace probablement liée à la disponibilité et à l'abondance des proies dans le milieu. La variabilité du régime alimentaire en fonction de la taille a pu être testée sur les échantillons de juin 2004, seul mois où deux cohortes étaient présentes en même temps : la première issue de la reproduction de 2004 (taille comprise entre 30 et 50 mm) et la seconde de l'année précédente (entre 165 et 263 mm). Notre analyse révèle une nette évolution alimentaire en fonction de la taille des individus : les plus petits se nourrissant préférentiellement de zooplancton (copépodes, larves de crustacés et de mollusques, larves de poissons) et de mysidacés, les plus grands maigres de mysidacés, gammares, crevettes et poissons. Comme dans l'estuaire du Tage (Cabral & Ohmert ; 2001), la fréquence des proies de plus grandes tailles augmente avec la taille des maigres. Quels que soient la taille du maigre, le mois et le lieu de pêche considérés, la fréquence d'occurrence (indice reflétant la présence d'une proie dans l'estomac) est toujours très fortes pour les mysidacés (M. slabberi et N. integer) et les crevettes. Or, l'abondance de ces deux taxons fluctue dans l'espace et dans le temps. Cela suggère que même si l'abondance de ces proies est faible, le jeune maigre montre une relation alimentaire privilégiée avec elles. Contrairement à ce que montrent Cabral & Ohmert (2001), le maigre juvénile, dans la Gironde, adopte un comportement alimentaire de type plus « spécialiste » que dans l'estuaire du Tage. En hiver, le merlan prend la place du maigre en mangeant lui aussi préférentiellement des mysidacés et des crevettes. La nourriture n'est donc pas un facteur limitant la présence des maigres. Les paramètres environnementaux, trop extrêmes pour la physiologie des maigres, semblent expliquer à eux seuls l'absence de ces poissons pendant la période hivernale. Il ne faut pas oublier que le maigre est considéré, dans l'estuaire de la Gironde, en limite nord de son aire de répartition (aire de répartition centrée sur les côtes d'Afrique de l'ouest). Les conditions thermiques présentes dans la Gironde en hiver suffisent à repousser cette espèce en mer. Au printemps, les juvéniles, retrouvant des conditions environnementales plus clémentes, pénètrent de nouveau dans l'estuaire. L'abondance élevée des mysidacés et des crevettes à cette période de l'année dans l'estuaire de la Gironde, le comportement alimentaire des maigres et le départ des merlans, compétiteurs potentiels, pourraient en grande partie expliquer ce phénomène. Néanmoins, l'importance du facteur trophique par rapport à celle des paramètres environnementaux reste difficile à quantifier.
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